Cataclysmes et géostockages naturels

Le Cameroun théâtre de ces catastrophes

Les lacs Monoun et Nyos sont situés respectivement à l’ouest et au nord-ouest du Cameroun, Afrique centrale [1]. Le lac Nyos se localise à une centaine de kilomètres au nord ouest de Njindoun, village où se trouve le lac Monoun (Orstom, 1968a ; Orstom, 1968b). Ces deux lacs se appartiennent à la « ligne volcanique du Cameroun » (cf. la carte), qui regroupe de nombreux volcans ( Molo, 2018a). Cette région à risque était fortement peuplée en raison de son climat et de sa fertilité (Belinga et Njilah, 2001). Mais les éruptions limniques des lacs Monoun et Nyos en 1984 et 1986 respectivement leur ont valu la sombre réputation de « killer lakes » (Halbwachs et al., 2004 ; Krajick, 2003).

Manifestation de ces phénomènes

Le cas du lac Monoun

A Njindoun, le lac Monoun s’illustra négativement en 1984 après que 37 personnes et des centaines d’animaux furent retrouvées mortes. La reconstitution de l’évènement faite par Sigurdsson et al. (1987) indique que le 15 août 1984, quelques villageois vivant à Njindoun entendirent une détonation en provenance du lac Monoun, et en avertirent les autorités dès le lever du soleil. Le Cameroon Tribune (CT) rapporta le témoignage d’un rescapé affirmant avoir entendu une explosion, suivie de l'écoulement d’une nappe de gaz qui anéantit toute vie humaine sur plusieurs kilomètres (Pondi, 1984a, p. 4). Une équipe de géologues camerounais (Belinga et Njilah, 2001) raconte que le seul rescapé d’un groupe de commerçants, témoins de la catastrophe puisqu’ils se trouvaient sur les lieux à 4 heures du matin, raconte qu’un nuage de gaz s’était déployé devant leur véhicule, l’immobilisant et tuant tous les autres passagers qui se rendaient au marché de Kouoptamou. Ce rescapé rapportait, consterné : « Quand le car s’est arrêté, j’ai cru que nous étions attaqués par des bandits armés. Immédiatement, je me suis écroulé hors du véhicule et sentais que je suffoquais. A quelques mètres du pont, j’ai senti une certaine fraicheur qui me permit de courir à Njindoum mettre le chef Ibrahim Njoya au courant de l’attaque dont nous avions été victimes. Il rassemble alors les villageois qui devront encercler les lieux dès que le jour se lèvera. A 61m de nous, un nuage blanc persiste. Soudain, un motocycliste fonce dans ce nuage et tombe raide mort. Le glas a sonné ! Comme si cela ne suffisait pas, le responsable de la plantation de caféiers au Sud court aussi vers sa mort. Dès lors, nous sommes convaincus que le nuage blanc est un gaz létal qui a traîné pendant un bon bout de temps. Les victimes avaient des lésions corporelles et des traces de brûlure, alors que leurs vêtements n’affichaient aucune marque de dégradation (Wagner et al., 1988 ; Baxter et al., 1989 ; Kusakabe, 2017).» Deux années plus tard, un phénomène similaire se produisait dans le village de Njindoun, près de la ville de Foumbot.

Le cas du lac Nyos

Vers 21 heures le jeudi 21 août 1986, trois explosions se firent entendre, et précédèrent un vent violent qui dégagea un gaz mortel qui se répandit, tuant près de 1 800 personnes et environ 8 000 animaux par asphyxie (Kling et al., 1987 ; Kusakabe et al., 1989, PNE, 1996, p. 4). Les victimes furent recensées sur un rayon de 20 kilomètres (Hell, 2015) notamment dans les vallées et trois villages avoisinants du lac. A Cam-Nyos, un hameau bâti au pied de la montagne, le bilan fut particulièrement lourd, atteignant les 1 300 morts ; à Subum, on en dénombra 300 et plus de 200 à Cha (Bakoa, 1987a). Les médecins légistes révélaient que les victimes périrent, après l’inhalation d’une quantité importante de gaz (Sigurdsson, 1987a, p. 1) et avaient de graves lésions corporelles, des brûlures sur la peau, des irritations des muqueuses respiratoires, des affections pulmonaires et des paralysies (Morin et Pahai, 1986 ; Wagner et al., 1988).

Premières réflexions sur ces cataclysmes

Les scientifiques ne manquent pas de faire le rapprochement entre ce sinistre et celui de Njindoun en raison de la ressemblance entre les deux évènements (Hell, 2015). Mais en 1986, le Cameroun ne disposait ni d’une cartographie précise et actualisée, ni de données d’archives sur les risques encourus (Molo, 2018a). Les éruptions limniques* restaient méconnues. Ce vide théorique et sémantique (Halbwachs et al., 2004) allait être à l’origine d’incertitudes scientifiques favorisant deux hypothèses pour comprendre le phénomène.

Vers deux hypothèses

Les missions scientifiques internationales se multiplient au Cameroun, à la demande du chef d’Etat appuyé par l’UNESCO afin de déterminer la nature et le mécanisme de ces catastrophes, de conjurer ce phénomène ou de le prévoir (Tazieff et al., 1987). Les premières missions d’Haroun Tazieff et des équipes japonaises, américaines, britanniques,… ne peuvent expliquer le phénomène mais confirment la permanence du risque. Le gouvernement du Cameroun soutenu par l’UNESCO, décide d’organiser une conférence scientifique sur le lac Nyos à Yaoundé au mois de mars 1987 (Universcience, 2011 ; Molo, 2018a).

Une première hypothèse : origine volcanique du phénomène

Pour Haroun Tazieff l’origine est volcanique (Tazieff, 1989 ; Belinga et Njilah, 2001). Le CO2 a été impulsé depuis le fond du lac par le magma (éruption phréatique), le lac se trouvant dans le cratère du volcan sur la « ligne volcanique du Cameroun » (Nzekoue, 1987, p. 6 ; Universcience, 2011). Cette hypothèse se base sur les observations de sa première mission scientifique (Tazieff et al., 1987) et sur les témoignages des rescapés d’Upper-Nyos, hameau au-dessus du lac. Les rapports du chef de bataillon Vanni Roger, chargé d’études à l’Etat major du corps des sapeurs-pompiers du Cameroun, confirment cette thèse. Tazieff soutient que « le volcan sous-jacent au lac Nyos a expulsé, au cours d’une éruption phréatique, un nuage de vapeur brûlante avec une forte concentration de CO2 » (Molo, 2018a, p. 88). D’autre part, les « brulures » cutanées constatées chez les victimes, étaient selon les alliés de Tazieff, la preuve que le gaz était à haute température et contenait des composants acides et corrosifs, tels que le SO2 (à l’origine de l’acide sulfurique) et le HCl (chlorure d’hydrogène), généralement contenus dans les roches volcaniques à haute température (Baxter et al., 1989 ; Kusakabe, 2017).

Une deuxième hypothèse : origine limnologique.

Elle se caractérise par la libération brutale de CO2 accumulé sous le lac au cours de nombreuses années et retenu en profondeur par les eaux (Kling et al., 1987 ; Kusakabe et al., 1989 ; Kusakabe, 2017). Cette hypothèse s’appuie sur un ensemble de relevés et d’observations faits sur les lacs voisins, dont Monoun, qui montrent que les lacs (39 au total, Kling, 1988) de l’alignement volcanique contenant du gaz sont « thermiquement stratifiés », ce qui favorise l’accumulation de gaz en profondeur (Belinga et Njilah, 2001). Cependant les chercheurs sont divisés sur le mécanisme d’expulsion du gaz depuis le fond du lac :

- Le premier groupe Américains et Islandais attribue le phénomène à un « détonateur interne ou externe » (Juompan-Yakam, 2015) qui aurait perturbé l’équilibre des eaux faisant ainsi jaillir du gaz de manière spontanée (ibid.).

- Le deuxième groupe conduit par Boutrais envisage une origine organique (gaz de fermentation) à l’aléa des lacs Nyos et Monoun (Tazieff et al., 1987, p. 21 ; Wagner et al., 1988).

-Le troisième groupe soupçonne un « renversement » des eaux du lac causé par un refroidissement par les pluies, des eaux superficielles qui dès lors rendues plus denses, seraient descendues laissant les eaux chaudes remonter à la surface et déversant une quantité importante de CO2 dans les airs (ibid.).

- Le quatrième groupe affirme que le CO2 dissout dans le manteau de l’écorce terrestre s’est mélangé à l’eau et au CO2 dissocié depuis le fond du lac. Puis, le mélange CO2 et eau « bouscule [d’où la violente détonation] le CO2 exsolvé** qui constitue la couche supérieure » ; le tout est ainsi rejeté à la surface causant des morts (Kusakabe et al., 1989 ; Belinga et Njilah, 2001, p. 71).

Conclusion

Les études scientifiques menées sur les deux catastrophes camerounaises démontrent la méconnaissance de ces phénomènes, notamment des causes de la libération brutale et mortelle du CO2. Aujourd’hui pour prévenir de tels cataclysmes ces lacs sont pourvus de dispositifs permettant d’extraire le CO2 au fil de son accumulation au fond des lacs. Ceci démontre que la technologie de géostockage du CO2 (CSS) reste aujourd’hui aléatoire et risquée en particulier sur les terres continentales (plateau de la Brie), mais aussi pour les géostockages des fonds marins.

Ce stockage dans la zone de Grandpuits est d’autant plus dangereux qu’il existe à sa proximité un forage en exploitation à la même profondeur (risque de remontées), un stockage de nitrates d’ammonium potentiellement explosif (usine d’engrais, catastrophe de Toulouse) et une raffinerie qui devrait continuer de produire des carburants. Mentionnons également les forages géothermiques de la ville de Melun situés à la même profondeur et les anciens forages de pétrole.

NON au stockage souterrain de CO2 chez nous.

* limnique : type d'éruption volcanique caractérisé par le dégazage d'un lac qui expulse des gaz volcaniques émis en continu par le volcan.

** exsolvé : séparer un gaz dissous dans le magma ou les roches sous l'effet de diverses conditions physiques (pression, température).

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