Risques sismiques

Injecter du CO2 dans le sol à une pression supérieure à la pression d'équilibre revient à gonfler une chambre à air de vélo dépourvue de jante maintenant le pneu sur ses bords : la chambre à air se déforme, tout comme le sol superficiel sous la surpression CO2 du sous-sol.

Les observations effectuées

La mission commanditée par le gouvernement constate qu'à "Snøhvit, l’injection du CO2 a commencé en août 2008, pour une durée prévue de 18 ans. Mais après un an et demi d'exploitation la pression dans le puits d’injection s'est élevée rapidement. On a alors arrêté l’injection et on a lancé une investigation. Probablement que le CO2 a réagi avec certains minéraux, ce qui a conduit à la formation d’hydrates, avec comme résultat le bouchage des pores de l’aquifère. On a précédé alors à l’injection d’éthylène-glycol, apparemment sans résultat. Finalement, on a procédé au bouchage du puits initial, puis à une ré-perforation pour stocker le CO2, à partir de 2016, dans un réservoir moins profond." [1] (Snohvit, Norvège, mer de Barents). En dehors de cette narration, cette mission se limitera à citer quelques modélisations mathématiques, toutes plus favorables les unes que les autres au stockage, sans préciser pour autant les formules chimiques et physiques employées, et encore moins les coefficients retenus dans les formules.

L'INERIS [2] décrit le fonctionnement de In Salah en Algérie, où une association de plusieurs opérateurs pétroliers avait été montée pour réaliser un projet CCS (carbon capture and storage) opérationnel en 2005 : le CO2 issu du traitement des gaz acides d’un gisement pétrolier antérieur était injecté dans la partie déplétée (épuisée) à la base du même gisement. Une surveillance assez complète du site avait été engagée. On a observé un soulèvement progressif des terrains (ou surrection) atteignant jusqu'à 5 mm par an, avec un cumul de 10 à 20 mm, sur une zone de 4 x 5 km : on peut supposer que cela est venu compenser une baisse préalable générée par l’extraction des hydrocarbures.

Afin d'appréhender l'effet des injections de liquides dans le sous-sol, il convient de compléter ces expériences avec les séismes liés aux doublets de forages géothermiques.

Géothermie et séismes observés

Aude Gambet s'interroge sur le tremblement de terre survenu à Strasbourg en 2021 [3] : "Strasbourg a connu ce samedi le tremblement de terre de l'intensité la plus forte depuis le démarrage des forages géothermiques autour de l'agglomération. Or la centrale qui est à l'origine des séismes est totalement arrêtée depuis plusieurs mois. Pourquoi la terre continue-t-elle de trembler ?" L'attention est portée sur la centrale opérée par Fonroche à Vendenheim : "la centrale a été arrêtée en urgence suite au séisme du 4 décembre 2020 de magnitude 3,59 sur l'échelle de Richter, puis définitivement mise à l'arrêt". Il est précisé : "Si la centrale est à l'arrêt et que l'eau ne circule plus dans les puits depuis début janvier, elle continue à circuler dans le sous-sol - les puits ont été forés à plus de 5 000 mètres de profondeur à cet endroit-, sous-sol dont on ne dispose pas de cartographie précise. Pendant toute cette phase, le sous-sol - s'ajuste à ces nouvelles conditions et bouge, créant des séismes en surface". Ce forage est bien plus profond que le forage à CO2 envisagé à Grandpuits (1 850 m).

M. Deprost [4] souligne la difficulté de prévoir les séismes futurs liés à la fracturation du milieu : "En sous-sol, existent déjà de nombreuses fissures naturelles qui sont autant de chemins pour laisser passer l’eau. Soit les ingénieurs stimulent les fissures existantes par injections de fluide, soit ils en créent afin d’augmenter la perméabilité des sols. Le risque majeur de la stimulation est de déclencher des tremblements de terre. C’est ce qui s’est passé, par exemple, en 2006, lors d’un projet pilote à Bâle. Les opérations d’injection de fluide ont provoqué un séisme d’une magnitude de 3 et par conséquent l’abandon du projet". Sa conclusion n'est guère optimiste : "Actuellement, il est très difficile de prédire le déclenchement des tremblements de terre provoqués par les injections – les ingénieurs s’appuient principalement sur des approches statistiques, comme ils le font pour les tremblements de terre naturels. Nos recherches permettent de mieux comprendre les forces physiques en jeu. C’est un pas en avant vers la mise en œuvre d’approches fondées sur la physique pour gérer le risque sismique inhérent à ces opérations".

F. de Santis [5] rappelle les opérations préalables à la mise en exploitation d'un doublet géothermique (liaison entre 2 forages, l'un d'extraction d'eau chaude, l'autre d'injection de cette même eau après refroidissement): "la sismicité induite dans le cadre de la géothermie profonde n’est pas seulement un effet indésirable des opérations anthropiques, elle est, au contraire, un outil nécessaire à l’exploitation des réservoirs. En effet, le principe des stimulations hydrauliques, employées dans certains types de systèmes géothermiques, est d’induire le glissement des fractures préexistantes afin d’en améliorer la perméabilité et ainsi augmenter l’échange de chaleur entre les roches chaudes du réservoir et le fluide injecté. Dans ce processus, le déclenchement d’événements sismiques induits est inhérent aux opérations mises en oeuvre".

Le projet de Saint-Gall [5], Nord-Est de la Suisse, dans une zone très urbanisée, envisageait de produire de l’électricité en exploitant le réservoir géothermique du bassin Molassique. Il "a été lancé en 2003 et les opérations de caractérisation du réservoir ont commencé en 2013 après le forage du premier puits. La même année, après une fuite de méthane inattendue et la mise en sécurité du puits, un séisme de magnitude locale (ML) 3,5 a été enregistré (...) Ce séisme a été nettement ressenti par la population locale (...) La faible productivité du puits, ainsi que le taux élevé de méthane ont finalement conduit à l’abandon du projet qui a été définitivement arrêté en mai 2014".

Le projet de Pohang (Sud-Est de la péninsule coréenne) a démarré en 2010 dans le but de produire de l’énergie géothermique (chaleur et électricité) [5]. "Deux puits, forés entre 2012 et 2016, atteignaient une profondeur maximale de 4,3 km. Cinq stimulations hydrauliques ont été conduites entre décembre 2015 et septembre 2017 en injectant de grands volumes d’eau sous pression, pour améliorer la circulation du fluide dans le réservoir. Le 15 novembre 2017, près de deux mois après la fin des opérations d’injection, un séisme de Mw 5,5 s’est produit à proximité du site géothermique (~2 km) causant 135 blessés, un décès, et plus de 75 millions de dollars de dommages matériels". Arrêt définitif du projet, avant même sa mise en production en 2019.

Que peut-on en déduire pour les stockages de CO2 ?

Le stockage géologique de CO2 n'est pas tout à fait comparable aux forages géothermiques : il ne présente qu'un seul forage d'injection sans disposer d'un doublet permettant de limiter les variations de volume du sous-sol. Par la surpression locale générée par l'injection, une "stimulation hydraulique au CO2 supercritique" s'opère en élargissant failles et fissures. Il se crée plus d'espace pour stocker plus de CO2 au détriment du risque sismique plus élevé en surface.

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